Casbah, je te pleure
Je te pleure, belle Casbah. Ce n’est par
sentiment seulement, encore que ceux-ci comptent beaucoup. Ce n’est pas
non plus par envie de m’élancer dans une envolée lyrique sans fin.
Peut-être ai-je simplement la nostalgie de mon enfance et de mon
adolescence.
C’était dans les années 40 du siècle passé, période à laquelle je
sillonnais passionnément les venelles, sans jamais me lasser de la
vieille citadelle et, allant à l’aventure, y découvrais sa population de
travailleurs, de petits artisans qui s’adonnaient avec constance à leur
ouvrage plus ou moins – mais plutôt moins –nourricier et, hélas, aussi
ses malheureux porteurs d’eau aux épaules meurtries par leur amphore de
cuivre. Je suis sans doute un peu lyrique, pour me libérer de ce lyrisme
inconvenant aux yeux de beaucoup, je me dois d’exprimer mes perceptions
d’aujourd’hui mêlées d’indignation … et de révolte. Pourquoi ne pas le
dire ?
On a beaucoup écrit et dit, même des voix autorisées se sont
exprimées souvent avec indignation, parfois avec colère. Ces lignes ne
sont pas celles d’un architecte ou d’un urbaniste qui réagirait
probablement différemment, avec d’autres mots, avec plus d’intelligence
aussi, devant la catastrophe menaçante qui nous fait verser des larmes
aujourd’hui sur un patrimoine disparaissant avec les ans. Eux aussi,
probablement, pleurent-ils devant le délabrement qui se présente à leurs
yeux et dans l’indifférence sourde des gouvernants.
La Casbah si vulnérable est de la sorte, par abandon, effrontément
outragée par ceux qui devraient lui accorder un minimum de
considération, la prendre en charge après des promesses mille fois
répétées, à l’instar d’autres monuments comme la Ketchaoua ou le
mausolée Sidi Abderrahmane.
La prendre en charge par respect, parce qu’elle a enfanté les dockers
qui se sont battus courageusement pour la débarrasser dans un premier
temps des truands et qui ont courageusement opposé, malgré les risques
de perdre leur emploi, une indicible solidarité aux moments des guerres
coloniales dont celle du Viet Nam, également parce qu’elle a été le
siège du combat héroïque des héros de la guerre de libération nationale -
ne citons que Taleb Abderrahmane dont Mohamed Rebah vient d’écrire la
biographie – Ali la Pointe, les femmes, les jeunes et les hommes qui ont
courageusement opposé leur poitrine aux balles des forces militaires
colonialistes, lors des manifestations de décembre 1960. Citons aussi
Bachir Hadj Ali qui mena le combat en qualité de secrétaire du PCA
durant toute la guerre de libération nationale. N’oublions pas non plus
les artistes qui nous enchantèrent avec le Chaabi.
Parce qu’elle mérite d’être mise en valeur et de ne pas être
délaissée comme un bidonville au profit de quartiers aisés. Parce
qu’elle mérite d’être rayonnante pour les touristes nationaux en
priorité, bien sûr, et étrangers qui emporteraient avec eux le
ravissement d’un passé historique qui ne doit pas être gommé de notre
histoire.
J’ai eu le plaisir de visiter des villes, plus particulièrement au
Maroc, en Grèce et en Espagne, où le passé n’est pas totalement oublié
bien que les pouvoirs en place s’en désintéressent le plus souvent parce
que l’argent prime sur tout. J’ai visité Grenade et son inestimable
Alhambra, Séville, Cordoue en Andalousie, Mykonos en Grèce et d’autres
villes ; Marrakech, Fès et Meknès et j’ai été ébahi par l’importance des
travaux entrepris pour sauvegarder les monuments historiques et
certaines résidences, constituant un riche patrimoine.
Je n’ai pas eu cette joie à Alger, pourtant une des plus vieilles
cité du bassin méditerranéen et, lorsque j’y pense, mes yeux s’embuent
d’amertume, de tristesse. Il y a peu, lors ma dernière visite, avec mon
fils Pablo Nazim dans la citadelle, j’ai pu constater combien les
dégâts s’étaient aggravés encore et encore et se perpétuaient à mon
grand désespoir.
Comme disait Bouchama Abderramane, le premier président algérien de
l’Ordre des architectes, dans son lyrisme inné et infini, dans son rêve
inachevé de socialisme : « La Casbah sera le joyau, le diamant
éblouissant enchâssé dans le diadème de blancheur, de verdure et de
lignes enchanteresses de la ville nouvelle, débarrassée à jamais de
toutes les laideurs et de toutes les salissures »
La restauration de ce lieu, précieux entre tous, devrait avoir le
privilège d’être une priorité, avant les dépenses somptueuses et parfois
sans urgence, telles les sommes consacrées à la construction de
l’autoroute Est-Ouest qui n’a pas manqué d’entraîner une corruption
sans limite, ou de bâtiments luxueux qui ne profitent qu’à une poignée
d’individus ivres de leurs dinars.
Que restera-il bientôt de cette richesse, des vestiges, des gravats ?
Cette cité, la belle Casbah et surtout sa population qui survit dans
la pauvreté et la misère ne méritent pas un tel sort ; les sacrifices
innombrables et surhumains de ses enfants ne doivent pas être oubliés !
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